image Gabonreview Credit:© 2025 D.R./Le Radar
Le vendredi 7 novembre dernier, l’Assemblée nationale de la Transition a adopté le projet de loi ratifiant l’ordonnance d’amnistie générale liée aux événements du coup d’État du 30 août 2023 et à la tentative de putsch du 7 janvier 2019. Un texte présenté par le gouvernement comme un instrument de « réconciliation nationale », mais qui suscite de nombreuses interrogations au sein de l’opinion et même parmi les parlementaires.
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Une loi adoptée sans liste des bénéficiaires
Malgré les demandes répétées des députés, le gouvernement n’a toujours pas transmis la liste exhaustive des personnes concernées par cette mesure d’amnistie.
Lors de son audition devant la Commission des lois, le 5 novembre, le ministre de la Justice, Dr Séraphin Akure-Davain, a défendu l’initiative en soulignant sa portée apaisante :
« Cette ordonnance vise à favoriser la réconciliation nationale en annulant les poursuites et en permettant la réintégration des fonctionnaires concernés. »
Une explication jugée insuffisante par plusieurs observateurs, qui estiment qu’une telle mesure exige transparence et clarté, notamment sur les faits pardonnés et les bénéficiaires réels.
Les critiques de Michel Ongoundou Loundah
Parmi les voix critiques, celle de Michel Ongoundou Loundah, président du parti Réappropriation du Gabon, de son Indépendance, pour sa Reconstruction (REAGIR), s’est particulièrement fait entendre.
Dans une tribune publiée le 12 novembre par Gabonreview, intitulée « Amnistie générale ou amnésie nationale ? » , l’homme politique remet en cause les motivations du gouvernement.
Selon lui, les autorités utiliseraient « les grands mots » , réconciliation, cohésion, paix pour masquer leurs contradictions :
« Dès qu’un épisode devient gênant, ils sortent la boîte à formules. Et voilà qu’aujourd’hui, on y ajoute une perle de plus : l’amnistie générale. »
Un texte perçu comme un bouclier politique
Le président de REAGIR s’interroge sur la nécessité d’amnistier les membres du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), présentés comme les « libérateurs » du 30 août 2023.
« Pourquoi les amnistier s’ils n’ont rien à se reprocher ? », s’interroge-t-il, estimant que la mesure vise surtout à « couvrir les zones d’ombre » du régime actuel.
Selon lui, l’amnistie protège davantage qu’elle ne réconcilie :
« Ce texte ne soigne pas, il stérilise. Il ne tourne pas la page, il l’agrafe. »
Les mutins de 2019, des oubliés réhabilités
Autre point controversé : l’inclusion, dans la même ordonnance, des mutins du 7 janvier 2019.
Ce jour-là, un groupe de jeunes militaires menés par le lieutenant Kelly Ondo Obiang avait tenté de s’emparer de la radio-télévision nationale pour dénoncer la vacance du pouvoir due à la maladie d’Ali Bongo.
La répression avait été violente, faisant plusieurs morts et condamnés à de lourdes peines.
Six ans plus tard, ces anciens mutins sont amnistiés par ceux-là mêmes qui ont pris le pouvoir par la force en 2023.
Une « juxtaposition indécente », selon Michel Ongoundou Loundah, qui dénonce le « cynisme » d’un pouvoir mettant « dans le même sac les fusillés d’hier et les promus d’aujourd’hui » .
Entre oubli et impunité
Pour le président de REAGIR, cette amnistie est moins un acte de réconciliation qu’une opération d’effacement politique :
« On lave les dossiers, on polit les légendes, on réécrit l’histoire. Ce n’est pas une amnistie, c’est une amnésie nationale. »
Tandis que les autorités multiplient les discours sur la cohésion nationale, les familles des mutins de 2019 attendent toujours la vérité, et celles des victimes présumées du 30 août 2023 n’ont jamais été officiellement reconnues.
Entre nécessité d’apaisement et volonté de contrôle du récit national, cette amnistie générale divise profondément la société gabonaise.
Et pose une question de fond : peut-on réellement réconcilier un pays en effaçant la mémoire de ses blessures ?